jeudi 21 avril 2011

Les Mohamed de Jérôme Ruillier, Editions Sarbacane

Les Mohamed, c'est l'histoire de Khémaïs, Abdel, Ahmed...et les autres, débarqués en France au lendemain de la seconde guerre mondiale pour reconstruire le pays, ... puis à nouveau appelés dans les années 70 pour prêter main forte aux entreprises françaises qui tournent à plein. Elles ont besoin d'une main d'oeuvre peu qualifiée (et peu payée) pour travailler à l'usine ou à la mine. Chacun raconte à sa façon les espoirs d'une vie meilleure pour la famille restée au pays, la douleur de l'exil, l'austérité d'une vie qui voit s'enchaîner les journées harassantes d'un travail répétitif et les nuits, loin d'être réparatrices, passées dans l'étroitesse d'un baraquement exclusivement masculin. C'est aussi l'histoire de Zorah, Fatma, Djamila...et les autres, débarquées à leur tour pour rejoindre un mari qu'elle n'ont pas toujours choisi et une terre bien aride où l’étranger cumule les difficultés de la misère et de la nécessaire adaptation culturelle. C'est enfin l'histoire de leurs enfants, Farid, Myriem, Naïma... et les autres, qui face à la soumission de leurs parents, relèvent la tête et veulent affirmer leur identité. Les récits se succèdent, émouvants. On mesure l'arrachement de l'immigré à sa terre de naissance, la disparition des repères lorsqu'il est immergé sans préparation dans une société dont la culture et les rapports sociaux sont aussi différents, mais aussi l'attachement à cette nouvelle terre qui les a accueillis - même mal - et nourris. Quand le nombre d'années passées en France excède de loin celui passé dans le pays d'origine, le retour aux sources n'est plus envisageable. Ce qui pourrait être vécu comme la richesse d'une double culture peut laisser la place à un sentiment de vide angoissant, celui d'une position "d'entre deux" cultures, dès lors que s'élèvent comme aujourd'hui, les voix stridentes du rejet de l'autre. Remonter l'histoire et entrer de plain-pied dans les témoignages, c’est déjà faire un premier pas vers son prochain qu'il ne faut pas esquiver. Roman graphique adapté de l’œuvre de Yamina Benguigui Mémoires d’immigrés, les Mohamed accroche tout de suite le lecteur, les dessins apportent une touche particulièrement poétique à l'ensemble tout en respectant une certaine simplicité, discrétion qui laisse toute sa place au récit.

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